a la recherche de l'objet perdu

Odile VERSCHOOT
Psychologue clinicienne au SMPR* de Nantes
Secrétaire adjointe de l’ARTAAS**
Le pédophile. . . A la recherche de l’Objet perdu
Les médias semblent, depuis plusieurs années, faire leurs choux gras de la révélation
« d’affaires de pédophilie ». Ils nous abreuvent de détails sur le nombre de « petites
victimes », leur jeune âge, les circonstances manichéennes et perfides des agressions,
les récidives et crient au « monstre pervers » !
Nous ne pouvons alors qu’être hantés par nos souvenirs du Grand Méchant Loup déguisé
en Mère Grand pour amadouer et dévorer le Petit Chaperon Rouge. Mais, loups et
monstres ne sont que des personnages imaginaires, repérables dans leur caricaturale
apparence et cruauté alors que le « pédophile » est un autre nous même, un voisin, un
ami de la famille, un instituteur, un oncle, un prêtre, un médecin, à qui nous avons
accordé confiance ou amitié. Il nous surprend et nous horrifie parce qu’il nous a
« doublé »…
Qui sont donc les pédophiles ?
Il serait réducteur d’établir un profil type parce qu’on ne saurait résumer un individu à ses
agirs et que la dimension subjective, intra-psychique, prévaut dans une approche clinique.
Je me contenterais donc de retransmettre ici quelques éléments récurrents entendus en
entretien.
Constatons tout d’abord que« la pédophilie », détournée de son sens étymologique, est
une préoccupation à la fois judiciaire et médicale.
Le terme est, en effet, devenu un diagnostic psychiatrique du DSM IV (F 65.4) et de la
CIM X. Il est classé parmi les paraphilies et est défini comme une « préférence sexuelle
pour les enfants généralement pré-pubères ou au début de la puberté ».
L’approche judiciaire s’attache à l’acte transgressif, le code pénal n’utilise pas le mot
pédophilie mais qualifie les modalités d’agression délictueuses ou
criminelles : atteinte/agression sexuelle, viol. La vulnérabilité de la victime, précisée par
mineur de 15 ans et moins, par personne ayant autorité, est une circonstance aggravante.
Précisons que la Loi situe la « majorité sexuelle » à 15 ans, en deçà, la notion de
consentement n’est pas recevable.
Il est important de repérer que le terme d’inceste n’apparaît dans aucun des deux
champs, il n’est donc pas fait de distinction entre les agressions intra et extra-familiales.
Du point de vue psychopathologique, opérer une telle différenciation serait tout aussi
erronée car comment affirmer qu’une agression est fondée sur une préférence sexuelle
plutôt que sur une problématique familiale ? L’agir criminel et le Sujet dans son histoire
personnelle sont intriqués. C’est pourquoi, je préfère opter pour le terme d’agresseur
sexuel d’enfant et centrer la réflexion sur la question du choix d’objet plutôt que sur « les
liens du sang ».
Mes connaissances cliniques des individus dits « pédophiles » s’appuient sur des
rencontres, des suivis, des psychothérapies dans le cadre du SMPR*. Il s’agit de détenus
incarcérés, prévenus ou condamnés. Cela signifie qu’un enfant a dévoilé des faits, qu’une
plainte a été déposée, une enquête ouverte, que des questions ont été posées à l’accusé
par la police, le juge, l’expert, la famille, qu’il a été jugé et reconnu coupable puis qu’une
sanction/condamnation a été prononcée.
Que raconte l’agresseur sexuel d’enfant de lui-même, de son histoire et de ses actes ?
A propos de sa famille, il évoque un père absent, distant, parfois alcoolique, violent,
tyrannique et rigide avec qui il a peu ou pas d’échange. Par contre, il décrit une mère
infiniment bonne, « une sainte » disent certains, dévouée, que je qualifierais
métaphoriquement comme dégoulinante d’amour. Il insiste sur sa relation proche,
privilégiée à sa mère dont il se dit le « chouchou », le complice parce que plus attentionné
que ses frères et soeurs pour l’aider et la protéger. Cette position maternelle haute et désexuée,
perçue comme sacrificielle, semble inattaquable. La prévalence du rôle de
« gentil petit garçon »vise à se maintenir en conformité avec le désir supposé de la mère
sans qu’aucune opposition, aucun conflit soit imaginable, ni envisageable. Cette toute
puissance maternelle est la référence féminine : la sexualité est secondarisée dans le
discours, au profit de la fonction protectrice.
De son enfance, il relate peu de souvenirs précis hors du cercle familial si ce n’est pour
évoquer des sentiments d’abandon qui viennent conforter l’idée que toute séparation est
source de vulnérabilité et d’angoisse.
Sur le parcours d’adulte, deux tendances générales émergent : une impossibilité à trouver
une place dans une vie professionnelle, amicale, affective qui est toujours justifiée,
rationalisée par des données extérieures telles que le chômage, les déménagements
itératifs, les petites amies qui partent…Ils rêvent d’une vie « comme tout le monde ». Par
ailleurs, d’autres montrent une insertion apparemment réussie : investissement
professionnel, responsabilité associative, vie de famille avec femme et enfants. Sur leur
vie conjugale, ceux là sont intarissables sur les compétences maternelles de leur épouse
mais ajoutent qu’elles sont peu « portées » sur le sexe. Notons que de nombreux
agresseurs sexuels d’enfant choisissent des compagnes déjà mères.
Pour compléter cette description très générale et non exhaustive, j’ajouterais quelques
observations relevées dans le cadre d’un groupe de parole qui se réunit autour de la
consigne « imaginons ensemble une famille » : des carences idéatives, une pauvreté
fantasmatique, une incapacité à verbaliser tout ressenti, des difficultés majeures à affirmer
une opinion, à s’opposer aux autres et à manier l’agressivité sont chaque fois mises en
évidence. La famille imaginaire qui se dessine, non sans mal, au fil des séances, met
toujours le personnage maternel en place centrale, omniprésent alors que le personnage
paternel est en retrait, voire omis. Ils sont décrits par des qualités relationnelles mais peu
ou pas par des caractéristiques physiques : il ne semble pas imaginable de leur « donner
corps » autrement que par leur position parentale. De plus, nous avons repéré de
nombreuses confusions générationnelles telles que des écarts d’âge impossibles
biologiquement entre mère et enfant ou des incessants lapsus entre parents/grands
parents, femme/mère ou encore épouse/fille.
A propos de leur(s) acte(s), lorsqu’ils ne sont pas dans le déni et la revendication d’une
innocence, les agresseurs sexuels d’enfant nient toute violence, toute contrainte. Ils
affirment, au contraire, un consentement ou du moins un accord tacite de l’enfant ; Point
de vue qu’ils argumentent par le fait que celui-ci ne débattait pas, ne criait pas et
conservait la même attitude avec eux après les faits c’est à dire continuait à accepter
cadeau, argent ou affection protectrice.
Certains ajoutent que l’enfant était demandeur, faisait tout pour les séduire et manifestait
une vive curiosité pour la sexualité. Précisons qu’au cours des entretiens l’âge de l’enfantvictime
est rarement donné spontanément.
La plainte déposée et les poursuites judiciaires sont ressenties comme une trahison.
L’agresseur se vit comme victime des séductions de l’enfant, de la culture occidentale, de
la justice ou de l’entourage qui se « venge » d’un ancien contentieux. Néanmoins,
l’arrestation est souvent relatée comme un soulagement : le secret était lourd à porter, la
tension trop forte à supporter…mais comment parler d’une telle « bêtise » ? L’idée de faire
« quelque chose de mal » semble présente dans le discours a posteriori même si la Loi
est éludée « je ne savais pas que c’était interdit, on ne me l’a jamais appris ». Relevons le
terme de bêtise qui fait davantage référence à une maladresse enfantine qu’à un crime.
Quels sont les mécanismes psychiques sous-jacents à ce fonctionnement passifagressif
?
En prison, l’agresseur sexuel d’enfant se montre soumis, docile, il se fond dans le décor
carcéral comme il se fondait dans le champ social, sans vraiment s’y adapter : le souci
d’être conforme à ce que les autres pensent et attendent de lui est prégnant.
Il semble d’ailleurs être dans ce souci depuis l’enfance : Pour contourner les heurts avec
le père ? Pour faire plaisir à la mère ? Pour éviter tout risque de rejet ? Il fonctionne en
« comme si » et contourne sans cesse ce qui le gène pour maintenir l’illusion.
Ce fonctionnement « passif-agressif » vient signifier combien les perturbations psychiques
sont à entendre du côté de la relation à autrui et non strictement du côté de la sexualité et
de la Libido.
L’agresseur sexuel d’enfant souffre, en effet, d’un sentiment d’infériorité ; il a une faible
estime de soi, une représentation identitaire floue de lui-même : il se revendique comme
enfant et ne peut affirmer s’il est hétéro ou homosexuel. « Confusion des langues entre
adulte et enfant » affirmait FERENCZI, certes, mais l’agresseur sexuel d’enfant se décrit
comme étant encore enfant et donc dans une relation d’égal à égal, il dénie toute
différence.
Le sentiment de vide interne doit être comblé impérativement au risque d’une éclosion
dépressive. La quête permanente d’excitation qui alimente le sentiment d’exister est ce
qui définit l’économie psychique globale et le rapport aux autres.
Cette recherche constante d’excitation teinte toutes les relations d’une coloration érotique,
sexualité et affectivité se confondent comme dans les relations précoces à la mère
archaïque. Les autres sont des équivalents, des prolongements du Moi.
L’agresseur sexuel d’enfant entretient une construction idéalisée de la position maternelle
et dans le « elle a besoin de moi », on ne peut qu’entendre l’inversion projective « j’ai
besoin d’elle…elle qui m’a abandonné trop tôt ». Les failles narcissiques profondes
semblent issues des aléas dans la phase de séparation - individuation : La pulsion
agressive et la haine sont déniées ou plutôt déviées et imputées à l’autre, adulte
castrateur. Lui-même n’a pas pris part, ni sa part, dans le processus de séparation et s’est
tenu en dehors.
L’activité/excitation sexuelle semble avoir une fonction anti-dépressive et pour être
efficiente, elle est tournée vers des autres non menaçants, non rejetants…acquis
d’avance ! Le commerce érotique avec des enfants vise à colmater les carences
narcissiques et les vacillements du Moi : l’agir est la solution défensive face aux
angoisses existentielles majeures, il apparaît comme une tentative de maîtrise du Désir et
de la Haine.
Sur fond de dénégation de la castration structurante, c’est la possession et la maîtrise de
l’objet qui prime. Il n’y a pas de place pour le Sujet, tant du côté de l’agresseur que de la
victime, car être Sujet signifierait accepter d’être « barré » alors qu’être objet, c’est se
maintenir dans le prolongement maternel, dans le Désir supposé d’un autre. Il semble que
le Désir, en tant que pensées et affects autonomes, soit exclu, il n’y a pas de place pour le
fantasme et seul l’agir permet d’exister.
Peut-on pour autant parler de perversion ?
Selon Freud, la perversion est un trait de la sexualité infantile : la sexualité perverse
polymorphe au stade prégénital fait partie de la constitution normale, elle s’effacera au
profit d’une sexualité génitale adulte. La perversion à l’âge adulte serait le résultat d’un
arrêt dans le développement, l’évolution de la pulsion sexuelle.
L’agresseur sexuel d’enfant nous fait part de son insatisfaction, voire de son désintérêt vis
à vis, de la sexualité ; pourtant, même si dans le discours, il la projette sur sa (ses)
partenaires(s), il sexualise et érotise toutes ses relations aux autres.
A l’instar de C.BALIER, il me paraît erroné de définir une structure, une organisation
psychique à partir des agirs, il semble donc plus pertinent de parler de comportements
pervers que de perversion. En effet, c’est l’immaturité psycho-affective qui est au coeur de
la problématique, la maîtrise et l’emprise sont autant de tentatives pour contrecarrer le
sentiment d’insécurité permanent.
Quels sont alors les soins possibles ?
Rappelons que les soins en milieu pénitentiaire sont libres et ne s’instaurent que sur une
demande notifiée du détenu. Cette « demande » est toutefois ambiguë car fréquemment
suscitée par l’avocat, l’expert, le travailleur social, la famille dans la période de détention
provisoire. Elle est ensuite incitée par le JAP*** en application de la loi du 17/06/1998, en
contre-partie de remise de peine, de permission ou de liberté conditionnelle.
Perturbé mais pas malade, demandeur de soin sans demande, l’agresseur sexuel
d’enfant nous oblige à réviser notre idéal thérapeutique ! Il convient donc d’abord de
contourner la question de cette demande apportée mais peu habitée car il serait vain
d’espérer rencontrer d’emblée un Sujet. Des aménagements thérapeutiques sont
nécessaires : le cadre se doit d’être solide pour résister aux multiples attaques « mine de
rien » et une empathie étayante semble plus appropriée qu’une neutralité bienveillante
pour « soutenir » le discours et instaurer, restaurer une aptitude à penser. Il s’agit de
favoriser l’émergence du JE en lieu et place du ON.
La notion de transfert est, elle aussi, mise à l’épreuve car si l’attachement est patent, il
relève plutôt du « collage » et le patient vous surprend en confondant ses pensées et les
vôtres, utilisant par exemple vos propos « comme si » il s’agissait des siens. Il est toujours
déroutant d’être « volé » de ses propres mots…comme lorsque de jeunes enfants
répètent les paroles des plus grands sans en saisir tout à fait le sens !
Le danger premier dans la prise en charge thérapeutique des auteurs d’agression
sexuelle d’enfant est de ne plus pouvoir penser, d’être sous l’emprise. Le travail en équipe
semble primordial pour s’en protéger et le palier : suivi en binôme, réunion d’échanges,
formation, groupe de travail, recherche clinique, supervision personnelle sont autant de
moyens de matérialiser du Tiers. Il s’agit de se dégager de la position d’objet dans
laquelle le patient tente sans relâche de mettre le thérapeute, répétant en cela son
fonctionnement relationnel habituel.
Je pense qu’il est essentiel de s’affirmer comme Sujet traitant avec un Autre Sujet.
* SMPR : Service Médico-Psychologique Régional
** ARTAAS : Association pour la Recherche et le Traitement des Auteurs d’Agression
Sexuelle
*** JAP : Juge de l’Application des Peines
BIBLIOGRAPHIE
- BALIER C. « Psychanalyse des comportements sexuels violents » Ed. PUF, Paris, 1996.
- BALIER C., CIAVALDINI A., GIRARD-KHAYAT M. : Rapport de recherche sur les
agresseurs sexuels, 1996 (ARTAAS).
- CIAVALDINI A. & BALIER C. « Agressions sexuelles : pathologies, suivis thérapeutiques
et cadre judiciaire » Ed. MASSON, Paris, 2000.
- FERENCZI S. « Confusion des langues entre adulte et enfant » in OEuvres complètes
tome IV. Ed. PAYOT, Paris, 1990.
- FREUD S. « Trois essais sur la théorie de la sexualité » Ed. GALLIMARD, Paris, 1983.
- CONFERENCE DE CONSENSUS des 22 & 23 novembre 2001 : « Psychopathologie et
traitements actuels des auteurs d’agression sexuelle » Ed. FFP & J. LIBBEY, Paris, 2000.

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