La préviendure

Publié le par chervalin

Elle a mis au moins trois minutes pour s'installer.

C'était le deuxième report d'entretien qu'elle m'imposait.

C'était ça où je grillais le délai de remise de mon rapport car elle a paraît-il, un emploi du temps chargé.

Mon oeil !

Elle traîne face à moi. Elle me reçoit dans un espace bureau près du salon. C'est plus une salle de débarras qu'un bureau d'ailleurs. Il y a de tout, des jouets, des vêtements à repasser, un ordinateur, des cartons, des plantes sèches, des tableaux posés, des trucs quoi.

C'est vrai qu'ils viennent de divorcer et que tout n'a pas encore trouvé sa place.

Elle continue tranquillement de s'installer. Je subodore qu'elle le fait exprès. Manière de prendre le contrôle.

Par ailleurs j'aime bien subodorer.

Ce n'était pourtant pas dur. Se poser sur une chaise, Facile.

Et bien non.

Elle est venue à l'entretien avec tout un fatras qu'elle peine à porter, qui visiblement l'encombre et dont elle n'a nul besoin pour ce dont nous allons débattre.

Déjà qu'elle n'avait pas pu se présenter au premier entretien à mon bureau, je fais l'effort de me déplacer chez elle, magnanime et tolérant, et cette pimbêche la joue condescendante et star.

J'étais arrivé à l'heure, j'avais bien dit bonjour en arrivant, j'ai fais l'effort de me représenter, de rassurer, de redire ce qu'était une enquête sociale, j'avais mis du sent- bon et ciré mes vieilles tatanes.

Et ben non.

Madame voulait encore affirmer sa prévalence. C'était elle qui menait le débat et pas moi.

J'avais vu et entendu l'autre partie avant hier et il m'avait bien prévenu:

" Vous verrez, elle va faire son show. Et ça va durer, ça va durer... C'est tout le temps comme ça avec elle quand il vient du monde. Sa mère était pareille. Les deux même. Je n'en pouvais plus. Elle arrivait à me faire perdre mon sang froid et il fallait que je me morde le gras du pouce pour m'empêcher de lever la main.sur elle. Vous verrez bien. C'est une comédienne, une vraie. Bon maintenant je veux pas vous influencer, vous jugerez par vous même. Son frère vous le dira, car vous pourrez voir son frère, qui a une chambre au premier. Enfin j'dis rien.... vous verrez, elle va vous en faire baver, j'ai jamais compris pourquoi elle faisait tout ce cinéma. Tiens, pour aller au cinéma c'était pareil et arrivée dans la salle, tout le monde se retournait sur elle. Il fallait qu'elle prenne ses aises. Les gens s'écartait et cédait la place à coté en me regardant d'un air navré. Je suis sûr qu'ils me plaignaient...... vous verrez..."

Il est vrai que se déplacer chez les gens, cela fait partie du job. C'est intéressant, nous les croisons dans leur contexte et ils y sont dans leur domaine. Ce sont eux qui mène la danse et presque les débats.

Mais là faut bien dire que certaines abusent de la situation.

Plus de cinq minutes que je suis là, à attendre et toujours pas un mot échangé.

Elle s'appelle Arnelle.

Elle n'est pas désagréable à regarder Arnelle. Du coup je n'ai que cela à faire. Des cheveux blonds tendu en arrière par une queue de cheval. De grands yeux verts qu'elle a eu le bon goût de ne pas maquiller. Elle porte un leggings moulant, un chemisier à fleurs et continue de porter un large chapeau blanc alors que nous sommes à l'intérieur et qu'il ne fait pas si beau que ça.

Il y a des trucs dans la gente féminine, je pige pas. Mais bon.

Arnelle n'arrête pas de faire des grimaces avec sa bouche.

J'ai croisé son frère tout à l'heure et il m'a semblé qu'il avait aussi le même tic.

Ce doit être de famille. Un truc transgénérationnel.

Bon maintenant elle m'agace car les 5 minutes sont passées et elle n'est toujours pas assise. Elle cherche une feuille et un crayon.

Mimétisme évident. Elle a vu que je tenais un classeur avec quelques feuilles blanches posées dessus et pour se mettre à mon niveau, souhaite également prendre des notes.

Comme cela on est à égalité.

C'est assez rare que cela arrive lors des entretiens. Certaines personnes ne supportent pas que l'on prenne des notes sur ce qu'ils disent. Alors ils font la même chose afin que l'on fasse gaffe également à ce que l'on dit.

Trois crayons.

Elle a pris trois crayons .

Non j'en peux plus là, il va falloir qu'on commence car je n'ai pas trois heures devant moi.

Je regarde ma montre.

Arnelle aussi.

Elle va tout de même pas me faire le coup de "Je n'ai que cinq minutes à vous consacrer, faites pour le mieux pour l'enquête, je compte sur vous, je suis sûre que vous comprendrez vite la situation intenable dans laquelle je suis et que pour moi, il n'y avait pas d'autres solutions......"

Elle commence à m'exaspérer. Il avait raison l'autre. Je comprend maintenant sa fuite......

Bon, ça y est, Arnelle est assise. Elle ajuste son chapeau.

On va pouvoir commencer.

Mais non, son cinoche n'est pas fini, elle se relève et court vers le salon. Son chapeau s'envole et arrive sur mes genoux.

Elle appelle sa mère.

Elle veut un Granola.

Sa mère lui dit non et dit qu'elle va s'en mettre partout à cause du chocolat.

Je suis d'accord.

Il faut dire qu' Arnelle a 3 ans.

Son grand-frère âgé de 10 ans arrive et se fend la pêche en me voyant avec le chapeau dans les mains.

Il m'avait pourtant prévenu le père d' Arnelle " Vous verrez....."

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B
au Granola, j'aurais me douté ! Belle chute ! J'espère que la situation n'est pas trop catastrophique.
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L
excellente la chute !!!
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