La monadjudant

Publié le par chervalin

Vous êtes à la recherche d'une place à l'ombre, celle où évidemment se sont agglutinés les pèlerins comme vous, levés plus tôt, soucieux de poser leur serviette et leur nécessaire de plage, sur le meilleur endroit, celui que deux milles personnes avides comme vous de se baquer veulent avoir le privilège d'honorer.

Seulement, sombre cruche que vous êtes, une fois de plus, il est tard et ne restent plus que des miettes de feuillage et vous voilà condamné à arborer votre ignoble "Bob" petit-fils de la casquette Ricard qui fit la gloire des tours de France d’antan.

Déjà vous repérez qu'il y a du monde sur cette grève artificielle posée sur les rives d'un étang-lac bienvenu par ces chaleurs épouvantables. Remarquez, le monde ça va, ça vient, et on arrive presque à l'oublier. Comme il vous oublie aussi. Sinon on serait encore à se lamenter chez soi qu'il fasse aussi chaud alors qu'il a fait si froid et autres re-sucées lénifiantes.

Je repère qu'il y a plusieurs groupes comme nous (En gros des rivaux, des ennemis qu'il va falloir combattre et prendre astucieusement à revers, l'air de rien) qui cherchent leur bonheur en errant sur la plage, hésitant entre le sable, l'herbe, la proximité des jeux pour enfants, des toilettes, de la douche froide, du terrain de volley, du groupe de jeunes chahuteurs qui ne cessera de porter les filles criardes voire hurlantes et de les jeter à la "baille" (remarquez ça marche par ce qu'elles se taisent après. ça les mate.), le groupe des russes gueulards, celui des italiens avec leurs gamins qui piétinent sans vergogne sur votre serviette, (il y en a même un qui est venu faire son pipi juste à côté du sac de plage d'une bourgeoise atterrée, un sac si tentant que même l'envie de pisser, il te donne), le groupe des qui vont partir et qu'on attend la place (mais qui traîne, qui traîne comme s'ils ne nous avaient pas vu ces glands, qu'ils le font exprès, que c'est pas possible d'être aussi lent), bref vous n'êtes pas tout seuls à chercher l'eldorado à savoir la place stratégique que tout le monde veut avoir.

Et, ô joie non contenue, l'une de vous repère qu'un groupe (une colo ou un centre aéré, des braillards de 6 ou 7 ans) va quitter les lieux et nous abandonner une belle place à l'ombre d'un prunus tirant sur le robinier à moins que cela soit un palmier genre platane.

Nnnon... si si !

Le problème ce n'est pas les gamins qui eux veulent bien partir, car je pense qu'ils se sont fait tartir depuis ce matin sur cette plage, le problème c'est leur monitrice.

Ils sont une petite huitaine à la regarder, les yeux rivés sur sa bouche déformée par ses hurlements, sa peau calcinée, ses lèvres brûlées, son tee-shirt trop court et sa cigarette allumée.

Du coup nous aussi, on la regarde cette houris, elle s'agite, se démène pour attirer l'attention des petits, qu'il faut qu'ils n'oublient rien, leur serviette, leur sac, leurs affaires, leurs chapeaux, leur shorts, leurs tongs, les papiers gras .... Il semble que sa check-liste soit bonne mais il semble aussi, qu'elle en fasse profiter la moitié de la plage. Par réflexe, un bon nombre de mamans, rassemblent leurs affaires et par mimétisme, un paquet d'enfants cherche autour d'eux s'ils n'ont rien oublié.

Le problème de cette monitrice semble être le petit Mathias.

Visiblement, il panique et ne retrouve pas ce qu'elle demande.

Mathias, ce doit être le genre placide qui sait pertinemment que même si sa mère hurle elle fera quand même à sa place et lui continuera d'avancer plan-plan vers la vie considérant que les adultes sont ses servants et que la vie est un immense terrain de jeux.

Mais voilà, la monadjudant ne l'entend pas de cette oreille et elle s'est juré de l'éduquer et faire de lui, ce petit bout d'homme, qui n'a pas demandé, ni à aller en colo, ni à glander sur cette plage avec obligation de rester à l'ombre pendant que la monadjudant se dorait au soleil.....

(je fais une pause car ma phrase est trop longue)

.....faire de lui, disais-je, son bouc émissaire et sa tête de belge. (Il n'y a pas de raison que ce soient toujours les Turcs)

Mathias ne pleure pas, il est simplement tétanisé. Il ne bouge pas d'un centimètre, sa serviette est toujours posée là en boule, il n'a pas ses godasses, son sac a disparu et il n'imagine pas du tout où peuvent être ses lunettes et son chapeau. Nous ( je parle d'environ 850 personnes), nous savons cela car la monadjudant le lui crie et ce sans chercher à l'aider ou à le rassurer.

D'autres enfants un peu lassés d'attendre se proposent de l'aider, mais monadjudant leur demande de rester à leur place que déjà elle est suffisamment énervée comme cela et que ce n'est pas le moment et qu'on va être en retard à cause de Mathias, hein Mathias, continue de nous faire chier hein Mathias, que si tu me cherches tu vas me trouver Mathias.........

Nous (environ 250 personnes les plus proches) on regarde partout si il n'y a pas un sac qui traîne, des sandales ou un chapeau.... mais on est bien embêté car il n'y a que ça sur cette plage. Sa serviette bon c'est OK, elle est là, c'est déjà ça. En boule certes, mais cela à l'aire d'être un exploit, une perf pour Mathias.

La monadjudant ne bouge pas de son piédestal, une dame arrive avec une paire de sandales et une petite fille , une qui l'aime bien le Mathias, crie oui, c'est celles de Mathias.

Bon, c'est déjà ça.On avance et nous, assis à quelques mètres en plein cagnard, on commence à distinguer que la place à l'ombre va enfin se libérer.

La monadjudant ne remercie même pas la gentille dame. Elle l'ignore d'un derrière distrait et garde ses yeux de sorcière rivés sur sa tête de belge.

Je pense au directeur et au formateurs de BAFA, qui se sont donnés quelques énergies à inscrire dans les têtes de ces jeunes avides de s'occuper d'enfants des notions de psychopédagogie et de tolérance, je pense au Directeur de la colo qui a sélectionné cette candidate (sans doute plus pour son avantageuse poitrine que pour ses qualités éducatives), je pense aux parents de ces enfants qui inscrivent inquiets mais confiants, leur progéniture à des adultes responsables et sécurisants pour qu'ils passent une belle après-midi ou un bon séjour, épanouissant et ludique....

Une autre dame bouge et va voir Mathias pour tenter de le rassurer, on entend une autre voix parler de maltraitance, de c'est honteux...

Du coup la monadjudant commence à perdre pied et s'approche à son tour de Mathias qui commence à pleurer doucement. Alors elle cède et demande aux autres de partir à la recherche de son chapeau et de son sac.

Il ne fallait pas aller bien loin car le tout était enveloppé par sa serviette. En fait, il avait tout Mathias.La monadjudant lui fait une bise pour la forme, pour montrer à l'assistance publique qu'elle l'aime bien le Mathias qui n'arrête pas de la faire chier. Du coup, elle rallume sa cigarette et invite sa troupe à déguerpir.

Enfin.

Nous sommes deux groupes à nous précipiter mais bon il y a de la place de chaque côté de l'arbre et notre patience a été récompensée.

L'une d'entre nous trouve un petit réticule ouvert dans lequel se trouve une petite machine à faire les cigarettes, un paquet de tabac, et quelques produits de beauté ou de bronzage.

Deux minutes plus tard, revoilou la monadjudant qui tourne autour de nous et après quelques instants nous demande si nous n'aurions pas trouvé un petit sac, bleu précise t-elle mielleusement, avec un dessin doré, insiste t-elle, il était là, à coté de l'arbre, ici même, est-ce qu'elle peut regarder, mais que bien sûr, elle peut, mais non dommage et belle après-midi avec les enfants, ce doit être dur par cette chaleur de s'en occuper, ben voyons, bon bah au revoir, désolés mademoiselle.

Oui, je sais, c'est bas mais on a un peu vengé Mathias.

J'ai failli lui crier qu'il fallait bien retrouver toutes ses affaires et qu'elle devait les trouver et qu'on ne partirait pas avant que tout le monde soit prêt, au pied avec ses affaires, que dans trois minutes il y aurait le passage en revue aligné deux par trois et plus vite que ça....

Mais bon.......

Moi aussi je suis en vacances merde.

Publié dans histoires d'en rire

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B
Hmmm, je pense que je lui aurais rendu le sac en demandant que Mathias soit présent à sa restitution et accepte ses excuses. Ca lui aurait fait du bien, au petit Mathias, de voir que l'adjudant crie parfois sur des travers qu'elle partage avec lui.
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C
C'est vrai, on aurait pu mieux faire mais voilà.... . Et d'ailleurs le sac, on la laissé là.
P
Grand sourire pour votre description de la plage et des ennemis... Grand sourire pour la petite vengeance aussi. :)
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